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mercredi 19 août 2015

Des perce-oreilles qui piquent les narines

Un couple de perce-oreilles Labidura riparia (photo John Byers).

Une façon inhabituelle de repousser les prédateurs vient d’être découverte chez un perce-oreille : émettre une forte odeur de cadavre en décomposition pour dégoûter son assaillant. C’est la première fois que ce type de mimétisme olfactif est mis à jour chez un insecte. Il s’agit de Labidura riparia, un perce-oreille que l'on trouve un peu partout dans le monde. Alors qu’il les étudiait sur le terrain, John Byers, entomologiste à l'USDA, avait remarqué une très désagréable odeur. Il s’est penché de plus près sur ce phénomène, et en décrit l’origine dans une étude publiée récemment. En cas de danger, ces perce-oreilles émettent des composés volatils soufrés, apparemment produits dans leurs glandes salivaires et excrétés par la bouche. Ces charmantes fragrances évoquent à la fois la chair en décomposition et les excréments.

Le lézard Anolis carolinensis (PiccoloNamek, 
CC BY-SA 3.0). 
Pour vérifier si cela pouvait effectivement repousser les prédateurs, le chercheur a observé en laboratoire la réaction de lézards (Anolis carolinensis) mis en présence de perce-oreilles. D’abord tentés d’en faire leur repas, les reptiles recrachent immédiatement le perce-oreille qu’ils ont tenté d'avaler. L’insecte déclenche sa protection chimique assez rapidement pour ne pas être blessé. Les lézards retiennent la leçon puisqu’ils ne renouvellent jamais l’expérience, même après plusieurs semaines. Le rejet initial est une réaction innée et ressemble à l’aversion qu’ont la plupart des vertébrés prédateurs pour la chair en décomposition - sans doute une adaptation permettant de limiter les risques d’infection. Il est donc probable qu’avec son odeur de charogne, le perce-oreille parvienne à échapper à d’autres prédateurs (oiseaux et mammifères insectivores), mais cela reste à vérifier.



Référence : Byers J. A. 2015 - “Earwigs (Labidura riparia) mimic rotting-flesh odor to deceive vertebrate predators ”, The Science of Nature (doi: 10.1007/s00114-015-1288-1).

Julien Grangier

jeudi 6 août 2015

Comment utiliser ses tentacules pour pêcher à la ligne

Petite mais costaude, Carukia barnesi (photo Lisa-Ann Gershwin, avec son aimable autorisation). 

Les cuboméduses, ce sont un peu les Rolls Royce des méduses : elles nagent plus vite que les autres, ont un sens visuel plus développé, et affichent une plus grande diversité de comportements.  Elles sont aussi les plus venimeuses, infligeant des piqûres pouvant être fatales aux êtres humains.
Les crocodiles ne sont pas les seuls à rendre les plages australiennes si accueillantes (photo J. Grangier).

Cela n’a pas empêché une équipe de scientifiques d’étudier le comportement prédateur d’une de ces créatures, Carukia barnesi. Plusieurs individus ont été prélevés en mer dans la région de Cairns en Australie. Placés dans des aquariums et filmés pendant des heures, leur morphologie ainsi que leur attitude en présence de larves de poissons ont été étudiées en détail. Et leur talent de pêcheurs exposé au grand jour.
Un poisson piégé (a) au niveau d'un
des amas de cellules urticantes (b).
L'ombrelle de la méduse, qui ne
mesure pas plus de 2 cm, est visible
en (c) (photo tirée de Courtney et 
al. 2015 - Plos One).

Il semble en effet que ces méduses leurrent activement leurs proies afin de les capturer. Elles commencent par étendre au maximum leurs quatre tentacules, qui peuvent atteindre 75 cm de long. Elles les agitent ensuite par de brèves contractions environ une fois toutes les 10 secondes, comme le montrent les films réalisés pendant l'étude.

Agités ainsi, les amas de cellules urticantes, situés tous les 3 cm le long des tentacules, deviennent plus visibles. Ces zones pâles, plus denses que le reste des tentacules, apparaissent alors comme de petits points blancs aux mouvements saccadés. Ou, aux yeux des larves de poisson, comme une proie idéale de type plancton marin.

Cela expliquerait pourquoi les poissons s’approchent rapidement des tentacules, comme s’ils poursuivaient une proie. Au moment de la gober, cependant, les voilà eux-mêmes transformés en festin, foudroyés par le puissant venin de leur prédateur.

Les méduses ne se livrent à ces parties de pêche qu’à la lumière du jour, jamais la nuit. Les biologistes pensent qu’elles économisent ainsi leur énergie, car agiter leurs tentacules serait inutile dans l’obscurité. D’autres animaux vivant à plus grande profondeur ont développé une forme de « pêche » similaire, mais utilisable dans le noir. Certains siphonophores, par exemple, ne se contentent pas d’agiter leurs cellules urticantes, mais les parent aussi d’une lueur rouge qui attirerait les poissons…


Référence : Courtney R., Sachlikidis N., Jones R., Seymour J. 2015 - “Prey capture ecology of the Cubozoan Carukia barnesi”, Plos One (doi: 10.1371/0124256).

Julien Grangier