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mercredi 29 février 2012

Quand des puces géantes parasitaient les dinosaures à plumes




Une puce géante du Jurassique moyen (Mongolie intérieure, Chine) (photo © Huang)


Elles devaient provoquer de gigantesques démangeaisons et considérablement géner leurs hôtes. Peut-être même leur volaient-elles dans les plumes. C'est aujourd'hui qu'une équipe internationale, conjointe du Muséum national d'histoire naturelle et du CNRS a publié dans Nature une découverte tout à fait innovante et surprenante. Dirigés par André Nel du laboratoire "Origine, structure et évolution de la biodiversité", les chercheurs ont mis au jour une série d'insectes fossiles datant du Jurassique moyen et du Crétacé inférieur (environ - 165 MA). C'est la première fois que des insectes hématophages - qui se nourrissent de sang - aussi anciens sont ainsi découverts. Selon les chercheurs, ces puces géantes vivaient au détriment de vertébrés terrestres tels que les dinosaures à plumes.



Un fossile de Microraptor, dinosaure à plumes du Crétacé inférieur (130 à 125 MA),
issu de la province chinoise du Liaoning (photo Muséum d'histoire naturelle d'Orléans)


Les fossiles d'insectes dits ectoparasites (parasites externes, vivant à la surface corporelle d'un être vivant) découverts étaient jusqu'à présent nettement plus récents (- 65 MA et après). Il n'existait pas auparavant de fossiles datant de l'ère Mésozoïque (où apparaissent dinosaures et mammifères). Ces puces géantes ont été trouvées dans les provinces du Liaoning et de Mongolie intérieure, en Chine, particulièrement réputées pour leurs innombrables fossiles de l'ère Tertiaire. L'étude de ces pièces a montré que les puces étaient dotées d'adaptations morphologiques pour transpercer la peau de leurs hôtes et s'y accrocher. Ce qui laisse à penser que les victimes de ce parasitisme étaient couverts de plumes, comme on le sait déjà depuis des années grâce à des spécimens comme Microraptor ou Anchiornis (voir photos).


Anchiornis (qui signifie "proche de l'oiseau") était un dinosaure théropode vivant au milieu du Jurassique (160 à 155 MA). Il était recouvert de plumes, pouvait voler, mais pas planer. (photo Muséum d'histoire naturelle d'Orléans)


Cette découverte montre que l'ectoparasitisme, cette interaction biologique complexe entre plusieurs organismes, est une activité très ancienne, qui existait donc déjà au Jurassique (entre - 200 et 145 MA). En outre, la science est aujourd'hui en possession d'informations supplémentaires concernant les formes intermédiaires entre Mécoptères et les siphonaptères modernes (c'est à dire les puces que l'on connait de nos jours).
En ce moment, une exposition particulièrement intéressante sur les dinosaures à plumes est à voir au Muséum d'histoire naturelle d'Orléans. Intitulée le Chant des dinosaures, cette expo permet notamment de découvrir quelques pièces exceptionnelles venues de Chine comme Anchiornis ou Microraptor, tels qu'illustrées ici par des images. Par ailleurs, le public pourra admirer le fossile de la plus ancienne plante à fleur connue, Archaefructus liaoningensis.

 Julien Balboni

lundi 27 février 2012

Le drame de la surpêche finit par faire réagir la communauté internationale


Filets, chaluts et casiers font partie des symboles des techniques de pêche qui ont permis l'augmentation importante de la "productivité". Au prix d'un déclin dramatique des stocks. (photo Marcin Marucha)


L'information a été relayée sans pour autant retenir une très forte attention. Elle n'est pas pour autant anodine, bien au contraire. Vendredi, la Banque mondiale a annoncé la création d'une alliance mondiale pour une meilleure gestion des océans. Cette alliance va d'abord chercher à recueillir 300 millions de dollars (224 M€) auprès d'Etats pour son fonctionnement et sa coordination. Mais l'objectif réel est parvenir à lever 1,2 M$ en cinq ans. Une somme importante qui aura pour but premier la reconstitution des stocks de poisson, gravement touchés par la surpêche. Cette alliance entend rassembler les ONG, les Etats et la Banque mondiale, qui dépensent déjà des centaines de millions dans la défense des océans, sans pour autant être coordonnés.

 La première nouvelle est déjà politique. Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, avait été nommé, comme le veut l'usage, par le président américain, à l'époque George W. Bush. Ancien adjoint de Condoleeza Rice au secrétariat d'Etat, cet ancien avocat remplaçait alors le fameux "faucon néoconservateur", Paul Wolfowitz, qui avait à l'époque plutôt hérissé les diplomates français défavorables à une intervention en Irak. Zoellick, donc, est un conservateur, et son mandat va s'achever le 30 juin. Il laissera à son successeur d'assumer la création de cet ambitieux montage. Par ailleurs, plutôt marqué à droite, il était plutôt connu pour être le nemesis des altermondialistes de tout poil plutôt qu'un écolo chevronné. Mais cet investissement à venir attend également un retour : Robert Zoellick estime à 5 milliards de dollars (3,75 MM€) la perte annuelle nette des entreprises de pêche. Il entend renverser la tendance et "accroître leur bénéfice net de 20 à 30 milliards de dollars (de 15 à 22,5 milliards d’euros)"

C'est dire, donc, à quel point le thème de la surpêche et du déclin des océans est devenu si important qu'il parvient à attirer l'attention d'un poids lourd comme la Banque mondiale. Robert Zoellick a ainsi précisé vendredi :  "(Protéger les océans) est un défi si gigantesque qu’il ne saurait être relevé par un seul pays ou une seule organisation. Nous avons besoin d’une action mondiale coordonnée pour redonner la santé à nos océans. Ensemble, nous nous appuierons sur les excellents travaux déjà réalisés pour répondre aux menaces qui pèsent sur les océans, identifier des solutions réalisables et les faire passer à la vitesse supérieure."

Seconde remarque : n'est-il déjà pas trop tard ? En quelque décennies, la surpêche a proprement vidé les océans. On considère que 85% des zones de pêche sont exploitées à leur maximum, surexploitées ou épuisées. Certaines espèces ont tellement décliné que leur pêche est aujourd'hui protégée (thon rouge, requin-taupe, etc.). L'exemple le plus frappant reste naturellement celui de la morue à Terre-Neuve, un temps richesse nationale, tellement surexploitée qu'elle a disparu des côtes canadiennes, laissant une gigantesque industrie à l'agonie. Malgré un moratoire signé en 1992, jamais la morue n'est revenue à Terre-Neuve.




Comment en est-on arrivé à un tel point de non-retour ? Par l'industrialisation des moyens de pêche, principalement. En construisant des bateaux toujours plus immenses et efficaces, conçus pour répondre une demande croissante de poisson. Et en ouvrant une boîte de Pandore qu'il est bien difficile de refermer. "Le sentiment d'impuissance domine. Les recettes existent mais nous n'avons pas les capacités de les mettre en oeuvre. Le contraste est frappant : l'homme a su conquérir et exploiter le monde marin au cours des deux dernières décennies, mais il ne parvient pas à freiner sin emprise et ce, alors même que la technologie ne cesse d'accroître sa suprématie sur les ressources", écrivaient Philippe Cury et Yves Miserey dans Une mer sans poissons, en 2008. La création d'une alliance mondiale pour les océans pourrait être à même de les faire mentir, si les projets annoncés sont menés à bien. Et notamment l'extension massive du nombre d'aires marines protégées qui ont largement fait leurs preuves à travers le monde, mais pas assez nombreuses (0,7 % de la surface des océans) pour être décisives. A quelques mois de l'inauguration du sommet Rio + 20, le pari semble pris.

 Julien Balboni

vendredi 17 février 2012

La biodiversité en Île-de-France décline à grande vitesse


La huppe fasciée ne niche plus que dans le sud de la région. Moins
de dix couples subsistent en Île-de-France. (photo Georges Olioso)

On connaît principalement la fameuse liste rouge de l’UICN pour ces espèces rarissimes en danger d’extinction, souvent à l’autre bout du monde, comme le rhinocéros de Java ou le cheval de Przewalski. Mais l’Union internationale pour la conservation de la nature a voulu également prendre en compte le milieu urbain dans ses analyses.
C’est ainsi que, ces dernières semaines, plusieurs études sont venues faire le point sur la biodiversité dans les grandes villes, et notamment à Paris et en Île-de-France. Pas de surprise : celle-ci ne se porte pas franchement comme un charme. Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité, a ainsi calculé qu’une espèce d’oiseaux nicheurs sur quatre est menacée en Île-de-France. Pourquoi les oiseaux nicheurs ? Il sont plus représentatifs et plus facile à comptabiliser que les oiseaux hivernants et/ou migrateurs.

Le bruant jaune, encore bien répandu dans les campagnes franciliennes, a vu sa population diminuer de 20% en dix ans. A ce rythme, il pourrait être considéré comme "vulnérable" lors de prochaines éditions des listes rouges. (photo Denis Attinault)

D’ores et déjà, une dizaine d’espèces ont disparu de la région. C’est le cas de plusieurs oiseaux vivant dans les zones humides, en voie de disparition en Île-de-France. La bécassine des marais, le râle des genêts ont ainsi quitté la région. Le dernier butor étoilé s’est éteint il y a environ une quinzaine d’années.
Pas beaucoup mieux loties sont les espèces considérées en “danger critique d’extinction” comme le busard des roseaux ou la sterne naine. Ceux-là ne disposent plus que de quelques dizaines de couples nicheurs, parfois moins. Leur sort semble jeté. C’est ainsi que sur les 151 espèces d’oiseaux nicheurs recensées dans la région capitale, 39 sont considérées – selon les critères de l’UICN – comme “menacées”. Une espèce sur quatre. Ce constat est à rapprocher de celui résultant de la Liste rouge des oiseaux menacés en France, publiée en mai 2011, qui est exactement le même : 26% des espèces nicheuses menacées. Étonnant vu que l’Île-de-France est l’une des régions les plus urbanisées d’Europe ? Pas franchement si l’on observe les chiffres de plus près : le taux d’espèces classées en “préoccupation mineure” est bien plus important dans l’Hexagone qu’en Île-de-France (62% contre 52%).
Quelles sont les raisons de ce déclin massif proposées par Natureparif ? Principalement le recul important de la qualité environnementale des secteurs agricoles, ainsi que la fragilisation des zones humides, qui reste un point noir partagé avec le reste du pays. Point positif - qui pourrait moins amuser les passants arrosés de guano - les espèces dites "spécialistes du bâti" se portent plutôt bien : parmi les treize existantes dans la région, seule une est considérée comme "quasi menacé", il s'agit du moineau friquet, probablement le plus rural de tous les spécialistes du bâti.

Le coquelicot hybride est en danger critique d'extinction. ©Sophie Auvert (CBNBP/MNHN)


Et hormis les oiseaux, qu’en est-il des autres représentants du vivant ? Sans surprise, ça ne va pas fort du côté des plantes. Natureparif, toujours en partenariat avec le Muséum et le Conservatoire botanique national du bassin parisien, a étudié, ces dernières années, plus de 1500 espèces de flore vasculaire (plantes à fleurs et fougères) indigène à l’Île-de-France. Il s’avère ainsi que, depuis le XVIIIe siècle, 85 de ces espèces ont tout simplement disparu (6% du total), 400 autres sont menacées (26%), dont 128 en risque majeur d’extinction durant les prochaines années (8%).
Les causes majeures du déclin restent les mêmes. Avancée du bâti, changement des pratiques agricoles et recul des zones humides. Ainsi, quelques espèces comme l’adonis d’automne ou la sabline sétacée devraient disparaître dans les années qui viennent. "Et alors" maugréera le lecteur blasé. Dans les villes, il y a moins de fleurs et d'oiseaux, rien de neuf sous le soleil, pas la peine d'en faire des tartines qui obstrueront mes neurones ! L'intérêt ? Ces listes extrêmement précises des espèces menacées - obtenues pour beaucoup grâce à des amateurs passionnées, chasseurs d'images et de bestioles - permettent de faire un point précis sur l'efficacité des programmes de sauvegarde d'espèces menacées. C'est ainsi qu'un oiseau emblématique comme la chouette chevêche a pu voir le nombre de ses représentants augmenter ces dernières années dans la région Île-de-France, grâce à ce type de programme. Côté plantes, le flûteau nageant ou les messicoles ont pu être secourus et sauvegardés. Reste maintenant à poursuivre ce genre d'action afin que la faune commune, celle que l'on n'observe parfois même plus, obnubilés que nous sommes par les espèces plus spectaculaires comme les éléphants, les requins ou les phoques, puisse revenir, parfois dans nos villes.

Julien Balboni

mardi 7 février 2012

Cannibalisme : la faim justifie rarement les moyens


Scène de cannibalisme au Brésil au XVIe siècle, telle que décrite par Hans Staden,
tirée de son livre Nus, féroces et anthropophages (1557).


L’anthropophagie fait probablement partie des derniers tabous de l’être humain occidental, terrible interdit à la fois fascinant et repoussant. Ou comment un homme peut en venir à se nourrir d’un de ses semblables. C’est ainsi qu’un film comme le Silence des agneaux et son personnage principal, Hannibal Lecter, sont instantanément entrés dans l’histoire du cinéma, peut-être même celui de notre inconscient. De la même manière, chaque nouveau fait divers impliquant un cannibale attire l’attention d’un public massif.  “Il y a plusieurs années, le mensuel Photos s’était procuré les images de l’identité judiciaire du fameux cannibale japonais Issei Sagawa, qui avait tué et consommé une étudiante néerlandaise à Paris. Ils avaient tiré leur numéro à un million d’exemplaire”, rappelle Georges Guille-Escuret. Si ce chiffre reste à la discrétion de ce dernier, cet anthropologue, chargé de recherches au CNRS, reste l’un des meilleurs connaisseurs de la question.
 
La semaine dernière, l’Institut de paléontologie humaine de Paris et le musée de l’Homme accueillaient Georges Guille-Escuret, pour une conférence intitulée “Cannibalisme, histoire naturelle d’une bestialité supposée”. Ce chercheur vient de publier le deuxième tome d’une Sociologie comparée du cannibalisme (PUF). Il se bat en priorité pour une reconnaissance du fait anthropophagique.  “Il n’y a pas de sujet plus scabreux que le cannibalisme, qui provoque le dédain et suscite un zèle xénophobe. Cette phobie fait que celui qui s’y intéresse est souvent suspecté de fascination morbide. Mais si l’anthropologie est une science, alors elle doit désactiver cette angoisse, assure-t-il. Beaucoup d’énergie a été déployée pour démontrer l’inexistence du cannibalisme, afin de disculper les peuples primitifs. En quoi serait-il plus honteux d’appartenir à une société de cannibales plutôt qu’à une société de tortionnaires, comme la civilisation occidentale ?”
Car le point principal de la thèse de Guille-Escuret est bel et bien de montrer que le fait pour un humain de manger son semblable n’est en rien un fait ancestral, qui remonterait à l’époque où l’être humain vivait telle une bête. Non, son apparition reste anhistorique – c’est à dire relevant d’une situation exceptionnelle dans une société – et profondément lié à deux éléments : le type de régime politique et la démographie. 

En effet, pour beaucoup de penseurs occidentaux, l’anthropophagie est la négation même de la civilisation. Ce depuis l’Antiquité. Ainsi, pour l’auteur, quand Zeus parvient à survivre au cannibalisme de son père, Chronos, c’est la société qui naît. De la même manière, à l’apparition du christianisme, l’anthropophagie devient sacrilège car l’homme est fait à l’image de Dieu et toucher à sa chair revient à insulter Dieu.

Mais là où le cannibalisme ritualisé s’est propagé, c’est à dire dans de nombreuses sociétés sur plusieurs continents, il répondait à chaque fois à des situations sociales particulières. “Le cannibalisme est toujours marqué par l’Histoire et apparaît durant les crises démographiques. Ainsi, l’exemple des Hurons, en Amérique du Nord, qui reçoivent le maïs au XIIIe siècle. Un à deux siècles plus tard, leur population a été multipliée par trois ou quatre. C’est à ce moment que le cannibalisme est apparu chez eux. L’arrivée des Européens dans les zones de ces peuples a d’ailleurs souvent déclenché ou accéléré ces crises démographiques. Il y a une interaction forte entre cannibalisme et démographie.”
Mais il apparaît assez vite, selon le conférencier, que l’explication du cannibalisme par la faim est largement insuffisante. Au contraire, plutôt qu’une anthropophagie liée par une carence en protéines animales, beaucoup de sociétés l’adoptaient dans un cadre tout à fait ritualisé et “honorable”. C’est ainsi qu’à l’époque où les Jésuites tentaient d’évangéliser l’Amérique centrale et du Sud, ils ont été en contact avec des Aztèques. Ils décrivent ainsi le supplice des prisonniers de guerre, capturés sur le champ de bataille. Pour ces derniers, relate Guille-Escuret en citant les manuscrits jésuites, “c’est une fin honorable d’être tué et mangé par son ennemi. Ma seule inquiétude est d’être tué par un novice, comme un fils de chef”. En effet, l’anthropophagie pouvait servir alors de rite de passage et comme un moyen de “monter en grade” dans une société particulièrement stratifiée. Le cannibale traite ici son ennemi comme son alter ego, “tué mais pas vaincu”. De la même manière, aux îles Fidji, rappelle l’auteur, “il n’y avait pas de pire insulte faite à son ennemi vaincu que de laisser son corps sur le champ de bataille plutôt que de l’emmener afin de le manger”.

Si “il n’existe aucune explication générale au développement de l’anthropophagie”, Guille-Escuret précise néanmoins que “dans toute société hiérarchique avec subordination, un Etat, le cannibalisme cesse d’exister”. Par ailleurs, il ne serait que l’apanage des sociétés mobiles et géographiquement peu enracinées. S’il a ainsi disparu de la surface de la Terre, sous sa forme ritualisée, des réminiscences continuent d’exister. Sous la forme de faits divers réguliers mais ponctuels, un peu partout, mais aussi de faits exceptionnels comme les procès pour cannibalismes à l’encontre de dignitaires japonais durant la Seconde Guerre mondiale, par exemple.
Julien Balboni

A lire, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 1, Proies et captifs en Afrique, Vol. 2, La consommation d'autrui en Asie et en Océanie

jeudi 2 février 2012

L'élevage traditionnel a su préserver la diversité génétique des chèvres corses


© INRA / R. Bouche

Voilà une nouvelle qui saura réjouir nos amis corses : leur tradition d'élevage séculaire (millénaire ?) a sans doute permis de maintenir de manière quasi intacte le patrimoine génétique des chèvres de race corse depuis le Moyen-Âge. Alors que la plupart des chèvres domestiques (Capra hircus) d'élevage industriel voient leurs ressources génétiques chuter du fait de la sélection, la chèvre corse reste vigoureuse, malgré la diminution de sa population, d'année en année. C'est la paléogénétique qui a permis d'établir ces données, comme l'a montré une étude française pluridisciplinaire, publiée en début de semaine dans la revue américaine PloS One.

Tout a commencé il y a une quinzaine d'années dans les montagnes de Corse, à Castellu-di-Rustinu, village de Castagniccia. Une ancienne exploitation caprine datant du Moyen-Âge, de taille importante, y avait été exhumée. Sur ce site archéologique ont été découverts de nombreux ossements de chèvres, datés du XIIe au XIVe siècle. S'en est suivi une série d'études mêlant archéologie, archéozoologie, histoire, mais aussi génétique et paléogénétique, ainsi que des publications, notamment sur l'évolution de la production de viande et de lait dans l'histoire de Corse.

Autre recherche qui nous intéresse plus particulièrement ici : les chercheurs ont voulu estimer l¹évolution de la diversité génétique des chèvres corses, entre le Moyen-Âge et aujourd¹hui. Pour ce faire, une équipe de l¹Institut de génomique fonctionnelle de Lyon a travaillé sur un marqueur neutre, le marqueur mitochondrial. En effet, dans une cellule, le génome mitochondrial est distinct de l'ADN du noyau cellulaire et permet des investigations plus précises sur la diffusion des populations. De plus, il n'est transmis que par la mère et permet d'en savoir plus sur l'évolution génétique d'une espèce et son histoire.

"Nous avons comparé la diversité génétique des spécimens de chèvres de l'époque médiévale avec celle qui existe de nos jours en Corse, mais aussi avec la diversité génétique d'autres chèvres du continent. En observant les résultats, nous nous sommes rendus compte que les chèvres corses médiévales étaient plus proches de la population corse actuelle que de n'importe quelle autre population. Cela veut dire qu'il y a ici une diversité génétique que l'on ne retrouve qu'en Corse", affirme Sandrine Hughes, chercheuse en paléogénomique et évolution moléculaire à Lyon, qui a travaillé au sein de la plate-forme nationale de paléogénétique (Palgene) dépendant du CNRS et de l'ENS de Lyon.

Un patrimoine génétique qui reste à peu près le même durant des siècles sur une île ? Voilà qui paraît logique. Mais qui montre également que les techniques d'élevage sont restées sensiblement les mêmes durant des siècles, voire des millénaires. Et c'est aussi ce qui a permis aux chèvres de race corse (race reconnue depuis 2007 par le ministère de l'Agriculture) de garder leurs couleurs de poils si diverses. L'élevage à la corse ­ - on fera ici l'impasse sur les traditionnelles blagues à forte teneur en subventions européennes et en éleveurs corses - veut en priorité laisser la liberté de circulation à l'animal, qui peut ainsi gambader, grimper et se nourrir en toute tranquillité.

 La chèvre est l'une des premières espèces à avoir été domestiquée, au Moyen-Orient, au Néolithique, au moment de la naissance de l'agriculture. Puis, Capra hircus a été diffusée vers l'Europe, par la Méditerrannée et le Danube, en même temps que les vaches et les moutons. Elle serait arrivée en Corse il y a environ 7 700 ans. Encore aujourd'hui, lorsque des éleveurs tentent d'importer des chèvres domestiques "industrielles", elles parviennent difficilement à s'habituer aux conditions de vie de leurs congénères insulaires, au comportement nettement plus grégaire.

Julien Balboni